Antoine Galland, le père de l’orientalisme

Sylvain Roussillon - Antoine Galland, le père de l’orientalisme

Antoine Galland appartient à cette curieuse catégorie des « faux inconnus ». Tout le monde, sans exception aucune, connait ses travaux littéraires, sans pour autant les lui attribuer. Né en 1646 à Rollot, dans l’actuel département de la Somme, rien ne semble le prédestiner à une carrière littéraire. Issu d’une famille de paysans pauvres, orphelin à l’âge de 4 ans, il travaille très jeune à la ferme, comme vacher. Mais, repéré par le curé de son village lors des cours de catéchisme, il est envoyé au collège de Noyon. Brillant élève, très doué en latin et en grec ancien, il poursuit ses études au Collège royal (futur Collège de France) où il se plonge dans les langues orientales, avec une passion qui va faire sa fortune littéraire.

Le soleil se lève à l’Est

Bibliothécaire et secrétaire particulier du marquis de Nointel, nommé ambassadeur de France auprès de Mehmed IV en 1670, il accompagne son employeur à Constantinople. Il y reste cinq ans, parcourant la Thrace, une partie de la Grèce et du sud des Balkans, l’Asie mineure et les plateaux anatoliens, les îles égéennes, la Syrie, la Palestine… Il retournera dans le Levant à deux reprises, d’abord en 1678 pour un séjour à Smyrne, puis de 1679 à 1688, chargé de réunir des médailles et des manuscrits, pour le compte du Roi de France et de son ministre Colbert.

Il en profite pour parfaire sa connaissance du turc, de l’arabe, du persan et de l’hébreu. Il glane ici et là des histoires, des anecdotes, des contes et des légendes.

Rentré en France à la tête d’une impressionnante collection orientale d’objets en tous genres, il est nommé antiquaire du roi. Sociétaire de l’Académie des inscriptions et belles lettres, il enseigne l’arabe au Collège royal.

L’Orient mystérieux

Antoine Galland, qui a tenu un scrupuleux carnet de voyages durant ses trois séjours orientaux, publie dès 1694 un premier recueil d’adages et de proverbes : Les Paroles remarquables, les bons mots et les maximes des Orientaux.
« On a entendu tellement dire que tu es un homme très sage, avec beaucoup de connaissances, on voudrait te poser quelques questions pour voir un petit peu. Combien d’étoiles y a-t-il dans le ciel ?
– Autant que de poils sur le dos de mon âne.
– Mais enfin, comment peux-tu être aussi sûr ?
– Si tu ne me crois pas, tu n’as qu’à compter. »

« Toi qui es versé dans les sciences et les mystères, dis-nous quel est le plus utile, du soleil ou de la lune.
-La lune, sans aucun doute. Elle éclaire quand il fait nuit, alors que ce stupide soleil luit quand il fait jour. »

L’inventeur des Mille et Une nuits

Mais l’ouvrage qui va faire la renommée d’Antoine Galland est incontestablement, à partir de 1704, sa traduction des Mille et Une nuits. Les premiers fragments du texte original remonteraient au IIIème siècle au moins. Il s’agit d’un recueil anonyme de contes indiens, arabes et persans, avec des influences égyptiennes et hellénistiques. La version sur laquelle travaille Galland date du XVème siècle et lui est envoyée d’Alep, en Syrie.

Mais, plus qu’un traducteur, le Picard s’avère le créateur du récit. Ainsi, il semble bien que le personnage de Shéhérazade, vu par Galland, soit largement inspiré de Marie-Catherine d’Aulnoy, conteuse et romancière, à laquelle on doit le premier conte de fées publié en France en 1690, L’Île de la félicité, dans un ouvrage intitulé Histoire d’Hypolite, Comte de Duglas.

De même, il a volontairement omis certains passages érotiques ou jugés vulgaires, qui ne lui semblaient pas convenir au public qu’il visait, tout en harmonisant le texte. Enfin, il a ajouté à ces Mille et Une nuits, quelques aventures qui y sont étrangères, et non des moindres, comme Sinbad le marin, Ali Baba et les Quarante voleurs, ou Aladin et la lampe merveilleuse.

En fait, il tenait ces histoires, au moins pour les deux premières, de récits oraux de Hanna Dyâb, un chrétien maronite d’Alep, connu aussi sous le nom de Antoun Youssouf. Si l’on trouve quelques traces écrites de Sinbad et d’Ali Baba, preuves de l’antériorité de ces deux récits par rapport à leur intégration dans les Mille et Une nuits, en revanche, on n’a jamais pu trouver une source orientale, arabe ou persane, à Aladin. De là à imaginer que le conte est l’œuvre de Galland lui-même, il n’y a qu’un frottement de lampe !

Quoi qu’il en soit, en compilant ces récits de sources et d’inspirations diverses, en leur donnant un fil conducteur, Antoine Galland les a incontestablement sauvés de l’oubli voire de la disparition. Lorsque le douzième et dernier tome parait en 1717, à titre posthume, Galland étant décédé deux ans auparavant, le succès est déjà au rendez-vous. Avec une première édition en anglais en 1706, en allemand en 1712, en italien en 1722, en néerlandais en 1732, en russe en 1763, en polonais en 1768, les Mille et Une nuits constituent un des plus beaux succès littéraires européens du XVIIIème siècle.

L’illustre inconnu

En dehors d’une production toute entière consacrée aux contes et légendes, Antoine Galland a laissé deux ouvrages qui ne doivent rien à la compilation : De l’origine et du progrès du café et Histoire de l’esclavage d’un marchand de la ville de Cassis, à Tunis. Le premier est un traité où, faisant assaut de connaissances en histoire naturelle, botanique et ethnologie, Galland fait l’apologie du café à une époque où certains mettent en garde contre sa consommation, excessive ou non. Le second narre l’histoire du capitaine Bonnet, marchand de Cassis capturé par des corsaires barbaresques. Ecrit dans le style d’un roman d’aventures, il conte l’enlèvement du commerçant provençal, sa captivité et son évasion rocambolesque.

Même si Molière, avec Le Bourgeois gentilhomme, joué pour la première fois en 1670, manifeste un intérêt certain pour l’Orient, avec les quelques « turqueries » mises en scène, le véritable père de l’orientalisme, jamais démenti, en occident, est cet illustre inconnu d’Antoine Galland.

Sylvain Roussillon

Paru dans le numéro 45 de Livr’Arbitre

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