Il existait autrefois une catégorie très particulière d’auteurs ou de livres : ceux qui récompensaient, dans les écoles, les collèges et les lycées, les savoirs en fin d’année scolaire. Ces livres et ces auteurs « de prix » accédaient souvent à une notoriété considérable. La quasi-extinction de cette tradition pédagogique a aussi, très naturellement, sonné la fin des auteurs concernés.
Un talent prometteur
Edmond About appartient à cette catégorie, même s’il est réducteur de le cantonner à cette seule fonction. Né à Dieuze, dans le département de la Moselle, en 1828, il fait d’abord ses études à Pont-à-Mousson, avant d’intégrer le lycée Charlemagne à Paris. Elève brillant, il remporte le prix d’honneur de philosophe au Concours général. Ayant intégré l’Ecole normale supérieure en 1848, trois ans plus tard, il est reçu premier à l’agrégation de lettres. Ses excellents résultats lui valent d’entrer l’année même à l’Ecole française d’Athènes, nouvellement créée en 1846. Il restera deux ans dans cet établissement, double symbole du philhellénisme de l’époque et de la volonté de la France de rayonner en Orient. Très curieusement d’ailleurs, Edmond About en tirera une position diamétralement opposée, en affichant un mishellénisme à contre-courant de l’opinion dominante. Cette conviction se manifeste dès 1855 par un essai, intitulé La Grèce contemporaine, dans lequel il insiste sur l’écart entre le mythe hellène, fondé sur l’Antiquité, et la réalité de la Grèce du moment. L’ouvrage connaitra un beau succès. About récidivera dans cette veine, en 1857, mais à travers une farce romanesque, Le Roi des montagnes, satire des bandits grecs que les opinions publiques occidentales avaient érigé au rang de héros romantiques de l’Indépendance. Encore conviendrait-il d’ailleurs de relativiser les prises de position d’About qui en réalité n’hésite pas à saluer à de nombreuses reprises le peuple grec, mais se montre féroce envers certains de ses représentants. Plus qu’un mishellénisme de conviction, comme pourra par exemple l’exprimer un Pierre Loti, c’est bien davantage un mishellénisme de déception qui semble guider Edmond About.
L’auteur comique
Le Roi des montagnes, son premier roman, constitue par ailleurs une excellente illustration de son style. About est en effet doté d’une plume vive, alerte, caustique. Sa verve d’auteur comique s’exerce autant dans les articles qu’il écrit en tant que critique d’art que dans son œuvre théâtrale (il est l’auteur de neuf comédies et vaudevilles) ou dans ses récits de voyages. Son De Pontoise à Stamboul, qui parodie le fameux Itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand est un modèle du genre. C’est incontestablement cet humour décapant, mis au service de sa création romanesque, qui lui vaut son succès littéraire. Ses Mariages de Paris, en 1856, complétés par les Mariages de province en 1868, sont de grands succès populaires, tout comme, en 1862 L’Homme à l’Oreille cassée, puis Le nez d’un notaire.
Ces deux derniers titres, toujours sur le ton de la farce, mêlent habilement le récit fantastique, l’absurde et la critique sociale. Dans le premier, un ancien officier de Napoléon Ier, le colonel Pierre-Victor Fougas, momifié en 1813 par un savant allemand, est ramené à la vie, 46 ans plus tard par réhydratation. Durant l’opération, un morceau de son oreille est déchiré, d’où le titre. Toujours animé de la fougue guerrière de ses 24 ans, la tête encore en pleine épopée napoléonienne, il découvre avec stupeur la France bourgeoise du Second empire, rencontre ses enfants, désormais plus âgés que lui, et ses petits-enfants.
Dans le second ouvrage, Alfred L’Ambert, un talentueux jeune notaire se fait trancher le nez par un Ottoman irascible, Ayvaz-Bey, avec lequel il est en rivalité amoureuse. La seule solution, pour restaurer l’intégrité de son visage, est de procéder à une greffe de tissus vivants le temps de la repousse. Or, le seul volontaire est un ouvrier peu fréquentable, Romagné, au bras duquel le notaire Alfred se trouve greffé par le nez pendant un mois. On imagine aisément le burlesque qui naît de cette très inattendue union des classes.
Le républicain patriote
Le talent d’Edmond About ne se limite cependant pas à la seule farce. Outre quelques romans dramatiques, ou éducatifs, comme Maître Pierre ou Le Roman d’un brave homme, qui pendant plusieurs décennies figureront sur les listes des prix scolaires, le Lorrain va livrer quelques essais politiques et sociaux. Bien entendu, ils ont vieilli, mais conservent un intérêt historique non négligeable, comme La Question romaine (1859), L’Empereur Napoléon III et la Prusse (1860) ou L’ABC du travailleur (1868). Politiquement, ce fils d’épicier mosellan est tout en contraste. Napoléonien mais pas bonapartiste, républicain sans être radical, conservateur mais anticlérical, Edmond About, qui s’est montré favorable au coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851, évolue vers la gauche républicaine après la défaite de la France en 1871. Le fait que sa commune natale, Dieuze, fasse partie des territoires annexés au nouvel empire allemand n’est certainement pas étranger à ce cheminement. Devenu directeur du XIXème siècle, un quotidien républicain conservateur, apprécié dans les milieux de la gauche patriote, About mène campagne tout à la fois contre la droite cléricale et contre la gauche maçonnique, dénonçant la mainmise de groupes d’influence sur les institutions.
En 1884, Edmond About, élu à l’Académie française, voit son talent récompensé par ses pairs. Celui que ses amis surnommaient le « petit-neveu de Voltaire » à cause de son esprit moqueur, n’aura pas le temps de prononcer son discours de réception. Il meurt moins d’un an plus tard d’une congestion pulmonaire.
Article paru dans le n° 43 de Livr’Arbitre