L’Irak occupe une place centrale sur l’échiquier géopolitique mondial depuis presque 45 ans maintenant. De 1980 à 1988, le pays a été érigé au rang de rempart de l’Occident face à l’Iran islamique et révolutionnaire.
Par un curieux retournement (pétrolier) de situation, le pays de Saddam Hussein est devenu le « grand Satan », liguant cette fois contre lui le ban, l’arrière-ban et les vassaux de ce même Occident lors des première (1990-1991) et seconde Guerres du Golfe (2003-2006). Dès lors, ruiné, disloqué, politiquement décapité, le pays va sombrer dans une succession de conflits internes qui feront le lit du groupe Etat-Islamique.
Ce n’est pourtant pas la première fois que le territoire irakien est au cœur des préoccupations géostratégiques occidentales. Durant le Second Conflit mondial, une courte guerre oppose ainsi le Royaume-Uni au jeune état irakien. Peu importante sur le plan strictement militaire, cette confrontation a un impact bien plus important sur la géopolitique de la région, sur l’histoire irakienne et donc sur l’époque contemporaine.
Naissance d’une nation
Sous occupation ottomane jusqu’en 1918, le territoire qui deviendra l’Irak est alors placé sous mandat britannique. Le royaume d’Irak devient formellement indépendant en 1932. Indépendant mais pas souverain pour autant puisque les Britanniques ont exigé et obtenu, par un traité signé en 1930, de disposer de bases militaires dans le pays, avec liberté de déplacement de leurs troupes sur tout le territoire. En outre, la production pétrolière reste sous le contrôle de la plus que jamais « perfide Albion ».
Cette souveraineté sous tutelle n’est évidemment pas du goût des nationalistes irakiens qui revendiquent une indépendance pleine et entière. Plusieurs partis nationalistes (Parti du Peuple, Parti Nationaliste et Confrérie Nationale) ainsi que le principal syndicat du pays, la Société des Artisans, se fédèrent alors en 1931 pour constituer le Parti de la Fraternité Nationale (Hizb al-Ikha al-Watani, HIW), sur une base panarabe et anti-impérialiste. Le parti reste cependant très divisé entre progressistes et conservateurs.
Battu aux élections de 1933, puis de 1934, par la coalition pro-accord avec les Britanniques, le HIW prend sa revanche en 1935. Son principal leader, Yasin al-Hashimi, surnommé alors « le Bismark de l’unité arabe » devient Premier ministre. Il entame rapidement une politique de remise en cause de la mainmise britannique sur le pays en s’opposant à une partie des élites. Ses prises de positions progressistes lui valent aussi une forte opposition de la part de la fraction conservatrice du HIW. En 1936, il est déposé par un coup d’état militaire, le premier du genre dans un pays arabe moderne, dirigé par le général Bakr Sidqi avec l’aval du roi Ghazi. Si les tensions sont grandes au sein du HIW, le général Sidqi est assassiné en 1937 par un soldat nationaliste proche de la fraction progressiste, le pouvoir demeure entre ses main.
Un fascisme arabe
Mais une donnée nouvelle apparait au cours de ces années. Depuis 1932, l’Allemagne dispose sur place d’un ambassadeur, Fritz Grobba. Celui-ci rallie avec enthousiasme le nouveau régime national-socialiste en 1933 et est maintenu en place. Il propose, pour contrecarrer l’influence anglaise, et aussi parce que cet arabophile convaincu est un réel partisan de la cause arabe, d’accueillir des jeunes officiers irakiens dans les écoles militaires allemandes. Plusieurs dizaines seront ainsi formées aux méthodes et techniques de la Wehrmacht.
Un mouvement fasciste et panarabe voit donc le jour en 1935 en Irak. Le Al-Muthanna Club, tire son nom du héros national et chef de guerre éponyme qui, en novembre 636, a écrasé les troupes sassanides (perses) lors de la bataille d’al-Qadisiyya. Doté d’effectifs assez modestes, probablement entre 600 et 800 membres, le groupes est, en revanche, très influent à l’intérieur du HIW comme de la mouvance nationaliste en général, notamment grâce à un quotidien qui lui est proche, Al Alam al Arabi (Le Monde Arabe). Son principal dirigeant, le docteur Saib Shawkat, un des fondateurs du Croissant rouge irakien, professe un antisémitisme virulent et milite pour l’expulsion des Juifs d’Irak. Le club est par ailleurs à l’origine de la première traduction de Mein Kampf en langue arabe. En 1939, le Al-Muthanna Club, devenu le Parti National Démocratique, se dote d’une organisation de jeunesse calquée sur les Jeunesses Hitlériennes (l’organisation a été proposée par Fritz Grobba). Dirigé par Yunis al-Sabawi (le traducteur de l’ouvrage cité plus haut…), l’organisation, baptisée al-Futawwa (qu’on peut approximativement traduire par « la chevalerie ») connait un succès foudroyant en atteignant en quelques mois près de 60 000 jeunes adhérents.
En faveur de l’Axe
En 1939, le roi Gazhi meurt dans un accident de voiture. Une grande partie du milieu nationaliste suspecte un assassinat commandité par les Britanniques. Le souverain irakien montrait en effet de plus en plus de signes d’hostilité à l’égard du Royaume-Uni. La rumeur est amplifiée par le fait que le rapport d’autopsie ne sera jamais rendu public. Comme son successeur est trop jeune, le futur roi Fayçal II étant âgé de 4 ans seulement, la régence est confiée au prince Abdelilah, connu pour son dévouement à la politique britannique.
Cela n’empêche pas le HIW de se maintenir au pouvoir, et de désigner comme Premier ministre Rashid Ali al-Gaylani. Celui-ci a déjà occupé le poste dans les années 30. Il est soutenu, au sein du HIW, par une faction nationaliste radicale, contrôlée par le Al-Muthanna Club : le Carré d’Or (al-Murabba al-dhahabī). Il prend ses fonctions à la fin du mois de mars 1940. Lorsque les Britanniques comprennent, courant juin, que la bataille de France va être perdue, ils demandent au régent d’exiger que le gouvernement irakien déclare la guerre à l’Allemagne et à l’Italie. Mais Rashid Ali al-Gaylani refuse et va même jusqu’à rencontrer Franz von Papen le 5 juillet 1940 en Turquie pour solliciter l’appui allemand à son gouvernement. Après maintes tergiversations, il est finalement démis de ses fonctions au début du mois de février 1941 et remplacé par un gouvernement pro-alliés. Mais les officiers du Carré d’Or ne l’entendent pas ainsi et, les 1er et 2 avril 1941, une partie de l’armée comprenant notamment la Brigade motorisée, dont l’encadrement a été formé en Allemagne, s’empare du pouvoir.
Rashid Ali al-Gaylani est alors rétabli au pouvoir à la tête d’un Gouvernement de Défense nationale. Une de ses premières décisions est de couper les pipelines en direction des ports sous contrôle britannique pour rediriger la production vers la Syrie sous mandat français, fidèle au gouvernement de Vichy. Parallèlement, un appel à l’aide est lancé à l’Allemagne, tandis que des troupes britanniques débarquent à Bassorah le 18 avril 1941.
Un conflit oublié
Cette guerre anglo-irakienne sera courte. Même si, sur le papier, les forces irakiennes sont supérieures en nombre avec environ 30 000 hommes contre 15 000 Britanniques, elles sont nettement moins bien équipées, armées et commandées. Le théâtre des opérations est par ailleurs bien trop éloigné de l’Europe pour que l’aide de l’Axe soit significative. Seul un groupe d’une trentaine de chasseurs bombardiers allemands, sous le commandement du général Werner Junck, ainsi qu’une douzaine de chasseurs italiens parviennent en Irak, en transitant par les bases françaises de Syrie, avec l’autorisation des autorités vichystes locales qui envoient deux trains de munitions au secours des Irakiens. Toujours en Syrie, le militant nationaliste arabe Michel Aflak crée un mouvement de soutien à l’Irak (Haraka nisrat al irak), lequel constitue l’un des embryons du futur Parti Baas.
Mais ces aides partielles ne suffisent en aucun cas à inverser un rapport de force qui, sur le plan aérien et mécanique, est très largement favorable aux Britanniques. Le 30 mai 1941, Bagdad tombe. Le prince régent Abdelilah revient aux affaires et désigne un gouvernement franchement en faveur des Alliés, cependant que, dans certaines zones non encore conquises, des militants du Al-Muthanna Club et de al-Futawwa déclenchent des pogromes contre des communautés juives accusées de sentiments pro-britanniques. Réfugié à Berlin, Rashid Ali al-Gaylani a la maigre consolation d’être reconnu par Hitler comme seul chef légitime de l’Irak.
Epilogue
Les survivants du Al-Muthanna Club et de al-Futawwa constituent en 1946 le Parti Irakien de l’Indépendance (Hizb al-Istiqlal al-Iraqi). L’un des principaux fondateurs est un ancien cadre de al-Futawwa, Khairallah Talfah, oncle de Saddam Hussein. Le nouveau parti adhère au Front d’union nationale qui soutient le coup d’état du général Kassem en 1958, avant de rompre avec lui, jugé trop proches des communistes, pour se joindre au Parti Baas victorieux en 1963.
L’Allemagne jouit à l’époque d’une excellente image chez bon nombre de nationalistes arabes. En premier lieu, elle n’apparaît pas comme une puissance coloniale, au contraire de la France ou du Royaume-Uni, ses colonies, d’ailleurs essentiellement africaines, lui ayant été confisquées en 1918. Ensuite, durant la Première Guerre mondiale, l’Allemagne et la Turquie, ancienne puissance tutélaire du Proche et Moyen Orient étaient alliées, et beaucoup de nationalistes arabes ont démarré leur carrière politique, administrative ou militaire sous l’étendard ottoman. Enfin, le fascisme en tant que proposition politique nouvelle alliant nationalisme, étatisme, populisme, et révolutionnarisme fascine autant, sinon plus, que le communisme.