Dans l’histoire de l’extrême-droite française de la Seconde Guerre mondiale à nos jours, il y a un avant et un après Ordre Nouveau.
Pour modestes qu’aient été les effectifs de ce mouvement et sa durée de vie (1969-1973), il n’en a pas moins influencé considérablement ses divers successeurs au sein du paysage politique hexagonal des droites nationales et nationalistes.
Lorsque le pouvoir gaulliste procède, en juin 1968, à la dissolution de 11 mouvements et organisations d’extrême-gauche, d’ailleurs vite reconstitués, il semble vouloir établir une forme d’équilibre en interdisant le mouvement Occident à la fin du mois d’octobre 1968. Désorganisés, alors que l’agitation de l’extrême-gauche dans toutes ses composantes (maoïstes, trotskystes, anarchistes) gagne en intensité, bon nombre de militants nationalistes éprouvent le besoin de se regrouper.
L’idée dominante est de créer un mouvement jouant la carte électorale tout en occupant la rue. Au cours de l’année 1969, de nombreuses discussions et rencontres se tiennent entre différentes figures du milieu national, plusieurs groupes et journaux et d’anciens cadres et militants de mouvements récemment disparus, comme Occident, Europe-Action ou la Fédération des Etudiants Nationalistes. On y trouve des anciens de l’Algérie française, des nationaux-catholiques, des solidaristes, des nationalistes-révolutionnaires, des patriotes sans obédience particulière…
La fondation d’Ordre Nouveau
La réunion fondatrice d’Ordre Nouveau se tient le 18 novembre 1969 devant une petite quarantaine de délégués, sous la présidence de l’avocat Jean-François Galvaire. Contrairement à une idée reçue, complaisamment relayée, le nom du mouvement ne doit initialement rien à une quelconque nostalgie de l’ancien ordre fasciste ou nazi des années 39-45. C’est l’avocat et ancien candidat à l’élection présidentielle de 1965, Jean-Louis Tixier-Vignancour, qui l’a proposé en référence au mouvement des « non-conformistes des années 30 », une nébuleuse intellectuelle, d’inspiration personnaliste, désireuse de renouveler la pensée politique française en marge des opinions établies.
La première réunion publique du mouvement, initialement prévue en décembre 1969 au cinéma Saint-Lambert dans le XVème arrondissement de Paris, se déroule finalement, dans un format très court, sur le trottoir, le cinéma ayant été endommagé la veille par un attentat à la bombe. Cette violence de l’extrême-gauche à l’encontre d’Ordre Nouveau a évidemment des répercussions importantes sur l’organisation et l’image de celui-ci.
Certes, Ordre Nouveau n’est pas composé d’enfants de chœur, et il n’a jamais été question de se passer d’un service d’ordre. Mais incontestablement, dans bon nombre des situations, c’est bien le mouvement nationaliste qui est l’agressé, et non l’agresseur. C’est très visible dans le cadre des réunions publiques de l’organisation, systématiquement victimes d’attaques et de menaces, mais aussi sur le plan universitaire. Le GUD, devenu syndicat étudiant d’ON doit faire face à une opposition brutale systématique de la part de l’extrême-gauche. L’intensité de cette violence politique est d’ailleurs difficilement imaginable à notre époque. La conséquence de cette agressivité est que, sauf rares exceptions, le GUD-ON sera vite cantonné au seul rôle de défense, armée, de l’université de Paris II-Assas régulièrement en butte aux attaques des commandos trotskystes ou maoïstes. Il avait pourtant commencé à obtenir des résultats prometteurs lors des élections universitaires du mois de février 1969 avec 15% à Assas,13,5% à Nanterre, 12% à Saint-Maur, 10% à Clignancourt, et des résultats plus modestes, entre 5 et 10%, à Clichy et Sceaux.
A l’épreuve des élections
Ordre Nouveau demeure pourtant une organisation relativement modeste au regard de ses effectifs, avec environ 2500 adhérents à jour de cotisation. Il conviendrait cependant de multiplier ce chiffre par deux ou trois pour avoir un aperçu exact de la réalité de sa force militante, bon nombre de ses sympathisants et militants préférant en effet ne pas « prendre leur carte » pour des questions de discrétion familiale ou professionnelle. D’ailleurs, l’impact d’ON va bien au-delà de ces quelques milliers d’affidés. C’est particulièrement visible au regard de l’affluence dans les grands meetings où se pressent, malgré les menaces et les attaques, plusieurs milliers de participants.
Sur le plan électoral, si les résultats ne se soldent pas par des percées historiques, ils ne sont cependant pas dérisoires. L’année 1970 est marquée par deux élections législatives partielles auxquelles participe ON. Si celle de Bordeaux se solde par un modeste 0,52%, en revanche les 3,13% obtenus dans la XIIème arrondissement de Paris sont très encourageants. Il en va de même des élections municipales du mois de mars 1971. Faute d’une implantation suffisante, Ordre Nouveau s’est concentré, à deux exceptions près (Amiens et Lille), sur la capitale. Le premier exploit consiste déjà à monter des listes dans l’ensemble des secteurs… Avec 2,57% et 20 000 voix à Paris, le résultat est loin d’être risible (en 2020 la liste de Serge Ferderbusch soutenue par le RN se contentera de 8000 voix). Pour l’anecdote, notons que dans le 1er secteur de Paris, la liste ON est menée par un dénommé Patrice Gélinet, qui sera plus tard le patron de France Culture…
A Lille, le mouvement obtient un honorable, mais modeste, 2,02%, loin du spectaculaire 7,39% à Amiens. Certes, tout cela peut sembler bien mince au regard des scores du RN en cette année 2024, mais dans le contexte du début des années 70, en pleine flambée de contestation de gauche et d’extrême-gauche, il s’agit de résultats importants pour un mouvement si récent et si stigmatisé. Il convient enfin, pour clore ce chapitre électoral, de noter le ralliement de Jean-Jacques Delmon, maire DVD de Pietrosella, en Corse, dans l’arrondissement d’Ajaccio.
Une implantation nationale
L’origine des membres du Conseil national du mouvement, élu en juin 1972, donne par ailleurs une petite indication sur les zones d’implantation d’Ordre Nouveau. Evidemment, Paris et la Région parisienne sont surreprésentés et concentrent vraisemblablement une bonne moitié des effectifs de l’organisation. Ces données indiquent aussi une forte assise dans la plupart des grandes villes françaises (Nice, Marseille, Lille, Lyon, Bordeaux, Toulouse), mais aussi dans nombre de villes moyennes comme Aix-en-Provence, Saint-Etienne, Cannes, Orléans, Le Havre, Avignon, Nancy, Grenoble, Annecy, Amiens). Des implantations existent même dans des communes bien plus modestes encore comme Cannes, Gap, Beaune ou Givors (où subsiste aujourd’hui encore une inscription à la peinture sur un pont autoroutier…).
L’idéologie du mouvement, conséquence de la grande hétérogénéité des hommes et des groupes qui en sont à l’origine, demeure suffisamment minimaliste pour que la plupart des familles du nationalisme français puisse s’y retrouver. Pour autant, il faut reconnaitre à la presse du mouvement, notamment le mensuel Pour un Ordre nouveau, quelques fulgurances puisqu’il est un des pionniers non seulement dans la dénonciation de l’immigration clandestine et du « tribalisme » (on dirait aujourd’hui du « communautarisme »), mais aussi dans la défense de l’environnement, la protection des ressources naturelles, et qu’il mène une intéressante réflexion sur la liberté de l’information. La revue compte 2000 abonnés, tandis qu’un nombre équivalent d’exemplaires est vendu à la criée. Quelques sections de province disposent de leur propre journal, comme par exemple, la Dépêche nationaliste éditée par le groupe de Saint-Etienne.
Nationalisme et syndicalisme
Il est intéressant de noter qu’Ordre Nouveau n’hésite pas à se lancer dans une vraie dynamique de « fronts secondaires » et de « groupes relais », ce qui est d’habitude l’apanage de la gauche. Outre le GUD sur le plan universitaire, mais qui est préexistant à ON, le mouvement va se doter d’un syndicat lycéen. C’est ainsi qu’est créée en mai 1972 l’Union des Lycéens Nationalistes (ULN), qui deviendra 11 mois plus tard Union et Défense des Lycéens (UDL).
Alors que la Guerre du Vietnam revient sur le devant de l’actualité avec le déclenchement de « l’Offensive de Pâques » conduite par l’Armée populaire vietnamienne à partir de mars 1972, Ordre nouveau réactive avec Roger Holeindre le Front uni de soutien au Sud-Vietnam.
Cependant, l’initiative la plus intéressante initiée par ON est très certainement la création, en juin 1970, de l’Union Générale des Travailleurs (UGT). L’originalité de ce syndicalisme de « droite » est qu’il cherche à inaugurer une sorte de troisième voie entre le syndicalisme de lutte des classes et le syndicalisme d’entreprise souvent proche de la direction. L’UGT prône l’organisation de « fractions nationalistes au sein des syndicats réformistes (CFTC, CGT-FO) ». Les résultats seront très marginaux, les effectifs du syndicat se situant entre 100 et 200 adhérents seulement. Pour autant, l’expérience n’est en rien ridicule comme en témoigne par exemple l’adhésion du responsable CGT-FO des usines Dunlop à Amiens, Alain Doublet.
Un Front national pour un Ordre nouveau
Si Ordre Nouveau a fort à faire contre la violence de l’extrême-gauche, le mouvement est aussi victime des pouvoirs publics qui interdisent très fréquemment ses meetings et réunions publiques. Dans la perspective des futures élections législatives de 1973, certains cadres souhaitent donc élargir la base du mouvement en initiant un « Front National » chargé de ratisser au-delà de la base initiale d’ON. Le principe est adopté lors du congrès parisien du mouvement, en juin 1972 par 244 mandats contre 52 et 8 abstentions. Certains des opposants à cette stratégies se retireront pour créer le Groupe Action Jeunesse (GAJ), d’autant que l’homme choisi pour animer ce cartel électoral ne fait pas l’unanimité dans le milieu nationaliste. Jugé tour à tour trop passéiste, trop affairiste, trop carriériste, trop opportuniste, il s’appelle Jean-Marie Le Pen. Les 103 candidats de ce « Front National » n’obtiennent finalement que 110 000 voix lors des élections de mars 1973 (0,47% du total, et une moyenne de 1,33% par candidat, seul Le Pen lui-même parvient à franchir le cap des 5% à Paris). La médiocrité du résultat ne fait rien pour arranger le climat interne.
Un déluge de violence
Mais l’organisation vit ses dernières semaines. Le 21 juin 1973, Ordre Nouveau organise, à la Mutualité, un meeting intitulé « Halte à l’immigration sauvage ». Les trotskystes de la Ligue communiste (Alain Krivine) mobilisent le ban et l’arrière-ban du gauchisme. Dans les heures qui précèdent la réunion publique, certains amphi universitaires et certaines salles sont littéralement réquisitionnés par l’extrême-gauche et transformés en ateliers de fabrication de cocktails molotov (c’est notamment le cas à la Sorbonne et au lycée Jacques Decour). Le choc est d’une violence inouïe. Entre 3 et 5 000 gauchistes armés de barres de fer, équipés de 400 bombes incendiaires, déferlent rue Monge. Au final, près de 76 policiers sont blessés, dont 9 grièvement, essentiellement par brûlures.
Une semaine plus tard, le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, prononce la dissolution de la Ligue communiste, responsable des violences, mais aussi, pour faire bonne mesure, d’Ordre Nouveau, qui en réalité n’est que la victime de ces violences.
Jean-Marie Le Pen demeure donc à la tête du Front national initié quelques mois plus tôt, subitement libéré de la tutelle d’Ordre Nouveau. Ses adversaires à l’intérieur du défunt ON se regrouperont au sein des comités Faire Face puis Faire Front, avant de créer, en 1974, le Parti des Forces nouvelles (PFN).
Une autre histoire commence…
Article paru dans le numéro 20 de la Revue d’Histoire Européenne