Il y a des auteurs « maudits », à la scolarité chaotique, la santé fragile, affligés d’une disgrâce physique, ou bien dotés d’une personnalité asociale, inaptes aux relations sentimentales, au travail ou à la vie en société… La littérature abonde en écrivains cumulant tout ou partie de ces difficultés. Cependant, Robert E. Howard échappe en grande partie à ce portrait.
Le père de Conan le Barbare a en effet été encouragé à écrire par ses maitres d’école. Sportif, il s’est passionné pour la pratique de la boxe et de l’équitation. Ce père de héros musclés et bagarreurs mesurait lui-même près de deux mètres pour cent kilos. Il a travaillé pour l’industrie pétrolière, puis pharmaceutique, avant de pouvoir vivre de sa plume, dès 1931, à l’âge de 25 ans (ses revenus annuels liés à ses écrits sont alors, et ils le resteront jusqu’à sa mort, supérieurs à un million de dollars de l’époque).
Lovecraftien mais pas que…
Collaborateur régulier de la revue Weird Tales, il est un admirateur et un ami de Lovecraft. A l’instar de bien d’autres proches de « l’ermite de Providence », il n’hésitera d’ailleurs pas à introduire dans telle ou telle nouvelle, des éléments propres à la « mythologie lovecraftienne », comme par exemple, des références au livre maudit du Necronomicon.
Il serait cependant réducteur de circonscrire l’œuvre de Howard au seul personnage de Conan. Certes, le guerrier cimmérien est le héros le plus connu de toute son œuvre d’Heroïc Fantasy, et l’adaptation cinématographique, avec Arnold Schwarzenegger dans le rôle-titre, n’est pas pour rien dans cette popularité. Pourtant, l’univers d’Howard est riche de bien d’autres figures héroïques, parfois plus originales ou plus attachantes, que Conan.
Une armée de héros
Ces personnages s’inscrivent souvent dans le contexte des lectures et des centres d’intérêt de leur créateur, grand lecteur de romans d’aventure, de livres d’histoire et d’ethnologie. Le Texas, état de naissance et de résidence d’Howard, tout comme le christianisme strict dans lequel il est élevé, l’Irlande, un des berceaux de sa famille, ou encore la boxe, une de ses passions, alimentent ainsi son imagination.
Les Irlandais, les Gaëls et les Celtes sont ainsi nombreux dans l’imaginaire howardien, qu’il s’agisse de Turlogh O’Brien, un pirate celte dont les aventures se déroulent au XIème siècle, de Vulmea le Noir, un autre pirate irlandais, mais dont les actions se situent dans les Caraïbes durant les grandes heures de la flibuste (XVIIème siècle), ou de Cormac FitzGeoffrey, un chevalier mi-normand, mi-irlandais, dont la geste se situe au XIIème siècle durant la troisième Croisade initiée par Frédéric Barberousse, Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion contre Saladin. La principale incarnation de son « gaélisme » demeure probablement Cormac Mac Art, pirate (encore un !) dont l’épopée se développe durant la période arthurienne. Cette figure a été reprise ultérieurement par d’autres auteurs et notamment sous la forme d’un héros de Comics.
Précurseur de la Fantasy, Howard a aussi exploré, sinon même créé, un certain nombre de sous-genres qui témoignent aussi de ses centres d’intérêt.
Une Fantasy de niche
De plus en plus passionné par le western, Howard est ainsi l’inventeur, par l’intermédiaire de sa nouvelle The Horror from the Mound, du Weird western. Ce sous-genre, qui mêle far-west, horreur, fantastique et science-fiction, est notamment connu en France grâce à l’excellente série Les Mystères de l’Ouest (The Wild Wild West) diffusée pour la première fois en 1965.
Tout au long de sa courte carrière, il excelle ainsi dans certaines niches de la Fantasy, tout en affirmant son statut de maître du genre.
On lui doit ainsi une incursion remarquée dans l’Erotic fantasy, avec le personnage de Wild Bill Clanton, un marin, aventurier et bagarreur, dont les histoires épicées sont publiées dans la revue Spicy-Adventure Stories.
« Le roi de l’île arracha brutalement le soutien-gorge de Raquel. Il éclata d’un rire mauvais comme la jeune fille, à moitié nue, levait les mains pour cacher ses seins. Les globes jumeaux ainsi exposés frémissaient d’une rose splendeur… — C’est mieux ! déclara-t-il en riant. »
La Noire et la Rouge
Les femmes, et c’est une vraie révolution dans le genre, ne sont pas toutes réduites, sous la plume d’Howard, à jouer les rôles de captives apeurées et déshabillées. Il a ainsi donné naissance à deux héroïnes qui ne doivent rien, en combattivité, à Conan ou Cormac Mac Art. La première est Agnès de Chastillon, dite Agnès la Noire, qui parcourt la France et l’Italie, entre Moyen-âge et Renaissance. Librement inspirée de Novalyne Price, enseignante, qui fut un temps l’amante d’Howard, « Dark Agnès » est une sorte de Jeanne d’Arc inversée (une Jeanne Dark ?), sombre et baroque avant l’heure, probablement l’un des plus beaux personnages de la galerie howardienne. La seconde est Sonya la Rouge, rousse incendiaire qu’Howard met notamment en scène sur les remparts de Vienne en 1529, résistant les armes à la main aux assauts des Ottomans. Elle est l’ancêtre de Red Sonja, personnage recréé par Marvel dans les années 70.
Solomon le fanatique
Une autre niche, la Dark fantasy, nous vaut le personnage de Solomon Kane, créé en 1928, qui partage avec Conan le rare privilège d’avoir été porté à l’écran en 2009 (film de Michael J. Bassett, avec James Purefoy dans le rôle-titre). Anglais du XVIème siècle, puritain (il en porte le costume), il se considère comme « le bras vengeur de Dieu ». Il parcourt la planète, combattant le mal sous toutes ses formes : sorciers, démons, vampires. Il y a d’ailleurs un peu de Van Helsing dans Solomon Kane. Pour autant, ce personnage, doublement adoubé par le roi Salomon et par le meurtrier Caïn, échappe à la caricature pudibonde. Il n’hésite pas à recourir au meurtre, au mensonge et au vol, convaincu que sa cause, que sa Foi, sont justes. Ce héros sombre est constamment tiraillé entre la question de la fin, juste, et celle des moyens, pas toujours recommandables.
En 1936, Howard est quitté par sa maîtresse, Novalyne Price. Il apprend dans le même temps que sa mère, malade, avec laquelle il entretient des relations fortes, vient de sombrer dans un coma définitif. Lui, qui avait souvent affiché son détachement pour la vie, se suicide en se tirant une balle dans la tête.
Paru dans le n°48 de Livr’Arbitre