Stand Watie, le dernier général sudiste

sylvain roussillon stand watie, le dernier général sudiste

Le 9 avril 1865, le général confédéré Robert E. Lee, à la tête de l’Armée de Virginie du Nord, capitule à Appomattox. Cette reddition marque, pour nombre d’historiens, la fin de la Guerre de Sécession. Dans la réalité, des combats sporadiques vont continuer jusqu’à la mi-mai 1865. Quant au dernier général de la Confédération sudiste, il dépose les armes le 23 juin suivant, soit plus de deux mois après Lee. Il s’appelle Stand Watie, il est indien et chef de la Nation cherokee.

Né en 1806, il se nomme en cherokee, Degataga, ce qui signifie « celui qui se tient debout ». Baptisé, il reçoit le patronyme occidentalisé de Isaac Standhope Watie. Il va lui-même le simplifier en Stand Watie, manière de renouer avec ses origines, « stand » voulant dire « debout », et Watie étant une déformation de Uwatie (« l’ancien »), le nom de son père.

Les « Cinq nations civilisées »

En 1835, Watie et sa famille sont impliqués dans le conflit qui déchire la Nation cherokee autour de la question du « transfert indien » des tribus, depuis leurs terres, situées en Géorgie, jusqu’en Oklahoma. Il est convaincu que, même si ce déplacement se fait en violation des traités antérieurs, il est non seulement inévitable, mais en outre d’une certaine manière souhaitable, car le maintien des tribus dans l’état de Géorgie, enserrées dans un monde blanc de plus en plus dense, aboutira à la mort des Cherokees. A l’inverse, le transfert en Oklahoma, sur un territoire libre, en bordure de grand espaces à l’ouest, peut leur offrir un nouveau développement. Pour les Cherokees réticents, l’histoire se soldera par une déportation forcée conduisant à la mort d’environ 4 000 d’entre eux sur la fameuse « piste des larmes ».

La Nation cherokee est évidemment déchirée entre ces deux positions et elle s’enfonce dans une violence larvée qui va durer une quinzaine d’années. Le futur général indien y perdra un oncle, un neveu et son frère aîné, Elias Boudinot, tous assassinés par des Cherokees anti-migration. Ce dernier, connu aussi sous le nom de Buck Watie, était par ailleurs le fondateur du premier journal indien, le Cherokee Phoenix, édité en anglais et en cherokee.

Au total, ce sont près de 100 000 Indiens qui sont contraints de venir s’installer en Oklahoma, représentant les peuples cherokee, creek, chickasaw, choctaw et une partie de la nation séminole, surnommées par les autorités américaines les « Cinq nations civilisées ».

Côté Sud

En avril 1861, lorsque la Guerre de Sécession éclate, la question de l’allégeance se pose inévitablement aux tribus indiennes. Le « Territoire indien » est en effet bordé au sud par le Texas sécessionniste et au nord par le Kansas unioniste. Après quelques tergiversations, le chef de la Nation cherokee, John Ross, se réfugie en territoire nordiste. Mais, la majorité des tribus indiennes se refuse à le suivre dans ce ralliement. D’une part, en effet, et la chose est peu connue, les ressortissants des « Cinq nations » pratiquent l’esclavage, ce qui les rapproche économiquement, de fait, des états sudistes. D’autre part, certains leaders indiens, à l’instar de Stand Watie, voient dans la déflagration civile qui commence, l’occasion pour les tribus de conquérir ou de reconquérir des droits nouveaux ou perdus.

Stand Watie, qui siégeait au sein du Conseil de la Nation cherokee, est élu président et chef, en remplacement de John Ross réfugié chez les nordistes. Il négocie avec les autorités sudistes l’élection de représentants indiens au sein de la Chambre des représentants de la Confédération. C’est ainsi que les Territoires indiens obtiennent deux sièges réservés (sur 109) au sein des première et deuxième assemblées, soit autant que l’état de Floride. C’est le propre neveu de Stand Watie, Elias Cornelius Boudinot (le fils du journaliste assassiné), qui représente les Cherokees durant les deux mandatures, tandis que, le second siège indien voit d’abord l’élection du Choctaw Robert McDonald Jones, puis du Creek Samuel Benton Callahan.

Cette représentation législative (une grande première !) prendra fin avec la défaite du Sud. Jamais aucun peuple indien ne retrouvera une telle visibilité institutionnelle aux Etats-Unis.

« Cherokee Braves »

L’engagement des « Cinq nations civilisées » aux côtés de la Confédération ne se limite cependant pas au seul aspect politique. Dès sa nomination à la tête de la Nation cherokee, Stand Watie a proposé son aide militaire aux autorités sudistes. Appointé comme colonel de l’armée confédérée en août 1861, il lève le premier régiment indien sudiste, le 1st Cherokee Mounted Rifles, en octobre de la même année. Cette unité, célèbre par son drapeau frappé de cinq étoiles rouges, représentant les cinq nations civilisées, entourée des onze étoiles confédérées, et portant la devise « Cherokee Braves », participera à toutes les grandes batailles à l’ouest du Mississippi.

Au total, les Cherokees fournissent 12 régiments et unités militaires à la cause du Sud, les Creek 3, les Séminoles 2, les Chickasaw 4 et les Chocktaw 7, essentiellement de la cavalerie, mais aussi des éclaireurs et rangers, quelques régiments de fantassins, et même un régiment d’artillerie (le 2nd Cherokee Artillery). En outre, quatre autres unités appartenant à des tribus différentes combattent dans les rangs sudistes, dont un bataillon de la tribu Osage (Osage battalion) sous le commandement du capitaine Young Black Dog. Ces troupes représentent plus de 20 000 guerriers. Dans le camp opposé, ils ne seront que 3 500 à choisir les rangs nordistes.

Le brigadier-général Stand Watie

Ces différentes forces indiennes auront l’occasion de se distinguer à de nombreuses reprises, lors des batailles de Chustenahlah (1861), d’Old Fort Wayne (1862), de Prairie Grove (1862), de Fort Smith (1864) ainsi qu’au cours des deux batailles de Cabin Creek (1863 et 1864), la seconde voyant le Osage battalion enfoncer les lignes nordistes, piller leur campement et s’emparer de 140 wagons de chemin de fer.

Mais les deux faits d’arme légendaires des troupes indiennes sont incontestablement la charge de Pea Ridge et l’embuscade du J.R. Williams.

Les 7 et 8 mars 1862, à Pea Ridge dans l’Arkansas, les troupes confédérée du Missouri sont mises à mal par l’armée de l’Union. Afin d’éviter l’anéantissement, Stand Watie concentre toute la cavalerie indienne, toutes unités confondues, soit 2500 à 3000 guerriers, et se lance dans une charge folle. Le champ de bataille est balayé, et l’artillerie nordiste tombe aux mainx des Indiens, les canonniers de l’Union se faisant massacrer sur leurs pièces en tentant de les défendre. Si cet exploit ne change pas le sort de la bataille, il permet au moins à l’armée sudiste de se ressaisir et de procéder à une retraite en bon ordre. Il s’agit à ce jour de la plus massive charge de cavalerie de toute l’histoire des nations indiennes.

L’autre exploit est plus inattendu, puisqu’il s’agit de la seule bataille navale livrée sur le territoire de l’Arkansas. Le 15 juin 1864, à la tête de 400 guerriers, Stand Watie contraint, sous les tirs de ses hommes, le bateau à vapeur J.R. Williams, navigant sur l’Arkansas river, un affluent du Mississippi, à accoster sur la rive opposée. Puis montés sur les barques et des navires légers, les guerriers indiens s’emparent du vaisseau nordiste, très endommagé, et de sa cargaison évaluée à 120 000 dollars. Repoussant l’attaque de miliciens nordistes arrivés en renfort, Watie et ses hommes s’échappent avec des pertes minimes. Cet exploit, qui ne change rien sur le plan stratégique, a en revanche un grand impact moral sur les populations civiles du Sud, à un moment où les nouvelles militaires ne sont pas bonnes pour la Confédération.

Le 10 mai précédent, en reconnaissance de son engagement, le chef cherokee avait reçu son brevet de Brigadier-général de la Confederate States Army, devenant ainsi le premier Indien à accéder à un grade de général dans une armée américaine. Du côté de l’Union, il faudra attendre le 9 avril 1865, jour de la capitulation de Lee à Appomattox, pour que l’Iroquois Ely Samuel Parker, né Hasanoanda, soit nommé Brigadier-général à son tour. Et encore, ce dernier, attaché à l’état-major du général Grant, n’avait pas commandé de troupes indiennes.

En dehors des batailles rangées, Stand Watie et ses hommes combattent en tant que raiders et partisans, tendant des embuscades, effectuant des coups de main en territoire nordiste, se livrant à des attaques sur l’arrière des lignes ennemies. Ils agiront plusieurs fois de concert avec les guérilleros irréguliers du célèbre capitaine William Quantrill.

Les héros ne disparaissent jamais

Après le mois d’avril 1865, alors que l’ensemble des fronts se délite, Stand Watie, qui a mis sa famille à l’abri au Texas, se replie en territoire Choctaw. C’est là qu’il fait sa reddition, le 23 juin, avec les dernières troupes confédérées, 500 guerriers du 1st Cherokee Mounted Rifles et de l’Osage battalion. Dans l’immédiat après-guerre, il tentera sans succès de faire reconnaître par les autorités de l’Union les droits négociés avec la défunte Confédération. Il s’éteint, épuisé moralement et physiquement en 1871.

Sa statue, érigée en 1921 à Tahlequah, en Oklahoma, a été retirée en 2020 au cours de l’agitation du mouvement Black Lives Matter.

Cependant, il demeure une œuvre qui prolonge son souvenir, et que nul ne pourra déboulonner : c’est le film Josey Wales hors-la-loi (The Outlaw Josey Wales), sorti en 1976, de et avec Clint Eastwood. Ce dernier, qui incarne un irrégulier sudiste (petit clin d’œil à Quantrill) sympathise avec un vieux chef indien, espiègle et philosophe, joué par Dan George. Cet Indien rebelle, ami du Sud et chassé de ses terres se prénomme Lone (« seul, solitaire ») Watie.

Sylvain Roussillon

Article paru dans le n° 19 de Zentromag

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