Qu’ils s’appellent Superman, Batman ou Spiderman, ils appartiennent tous à cette catégorie de la pop culture vulgarisée par Disney, Marvel, DC Comics ou Netflix : les superhéros. Même s’ils trouvent leurs lointaines racines dans certains mythes antiques (Heraclès), historiques (Robin Hood), ou dans certaines créations plus modernes (Rocambole, Fantomas, Zorro), ce type de personnage peine à séduire dans nos milieux, voire sous nos latitudes. S’il est en effet le symbole d’une Amérique dominatrice, elle-même exclusive incarnation du « bon », du « vrai » et du « bien », le superhéros contemporain, doté d’une vision de la société qu’on ne retrouve plus guère que dans la rédaction de BFM ou l’état-major de l’OTAN, a cependant eu affaire à des adversaires inattendus et oubliés.
La Seconde Guerre mondiale génère un sursaut patriotique dans tous les domaines de la société américaine. Et l’univers des superhéros ne fait pas exception. Les scénaristes vont même jusqu’à créer des personnages pour l’occasion, comme Pat Parker, Captain Marvel, Captain America ou Wonder Woman. Ils sont évidemment chargés de défendre l’Amérique contre de super-ennemis au service de l’Allemagne et, surtout, de soutenir le moral des populations à travers comics et dessins-animés binaires et manichéens, comme les aime le public yankee. C’est ainsi que va naître toute une gamme de super-méchants pas tout à fait comme les autres.
Captain Nazi
Historiquement, le premier de ces anti-superhéros n’est autre que le bien-nommé Captain Nazi, dont le surnom a l’immense mérite d’éviter toute ambiguïté idéologique. Créé en 1941 par DC Comics, Albrecht Krieger de son vrai nom, il est le fils d’un scientifique allemand qui en a fait un combattant redoutable. Il est grand, blond, aux yeux bleus comme il se doit, et son visage est barré d’une large balafre contractée lors de ses études à Heidelberg à l’occasion d’un duel à l’épée. Espion, saboteur et assassin, il opère essentiellement aux Etats-Unis, rassemblant autour de lui des traîtres, des collaborateurs et des savants plus ou moins fous. Vêtu d’une tenue verte avec bottes, gants et épaulettes rouge, il arbore une gigantesque et voyante svastika sur la poitrine, au point qu’on peut s’interroger sur la sagacité du contre-espionnage allié le concernant… Ajoutons qu’il pratique tous les arts martiaux et s’avère capable de piloter n’importe quel véhicule. En outre, il dispose d’un pouvoir qui sort de l’ordinaire. Il est en effet capable de voler, après avoir respiré un gaz inventé par le professeur Henri Gaigne, un scientifique français partisan du Régime de Vichy, souvenir d’une époque où la France ne sombrait pas encore dans les profondeurs du classement PISA des sciences. Il faut noter qu’Hitler himself, ayant lui-aussi inhalé ce gaz, dispose du même super-pouvoir ! Une particularité qui aura échappé aussi bien aux biographes du Führer qu’aux ingénieurs du service recherche et développement de la Lufthansa.
Contre toute attente historique, Captain Nazi ne termine pas sa carrière en 1945, lui. On le voit en effet ponctuellement réapparaître, dans les années 70, 80 puis 90, au service ou aux commandes de groupes comme l’Aryan Alliance prison gang, Fourth Reich ou l’American Supremacist Party.
L’Axe du Mal
Captain Nazi est évidemment accompagné, ou suivi, par une cohorte de super-méchants à son image. Citons pêle-mêle Captain Axis, créé par Marvel, Arnim Zola, qui parvient à sauvegarder le cerveau d’Hitler lors de la chute de Berlin, Captain Svastika, Red Skull, le Baron Blood, le Baron Bedlam, le Baron von Strucker, le Baron Helmut Zemo, le Baron Blitzkrieg (on notera à ce propos la faible imagination des scénaristes américains en matière de titres nobiliaires allemands…). Ce dernier, ennemi juré de Wonder Woman, parviendra même à s’emparer, temporairement, l’inverse se serait su, de la personne de Churchill dans le numéro 246 de World’s Finest Comics.
Il convient d’accorder une mention spéciale au dénommé Übermensch (les lecteurs nietzschéens de comics apprécieront la discrète allusion) qui dirige un groupe dénommé Axis Amerika, composé d’agents allemands, mais aussi d’un superhéros italien, Usil, et de deux Japonais, la belle Miya Shimada (Tsunami) et l’intrépide Tetsujiro Yoneda (Kamikaze). Cette symbolique reconstitution de l’Axe Rome-Berlin-Tokyo témoigne, de la part de certains auteurs de comics, d’une louable tentative de coller à une forme de crédibilité historique. On retrouve ce même souci avec le personnage de Master Man, créé par Marvel, et qui est présenté comme un descendant d’immigrés allemands, né à New York dans les années 20, dans le quartier allemand, aujourd’hui disparu, de Little Germany (Kleindeutschland). Militant du Bund, le mouvement germano-américain fondé en 1936 par Fritz Kuhn, il est membre de l’organisation étrangère du parti nazi, le NSDAP-AO. Maître-espion, saboteur, il s’appuie sur les réseaux de la « cinquième colonne » qu’il dirige depuis une ferme isolée en Virginie. Master Man est l’un des personnages les plus travaillés de la longue galerie qui nous occupe.
Comme beaucoup d’autres, il réapparait dans des aventures postérieures à la guerre, accompagné parfois de nouveaux personnages, à l’instar de Bloodsport, créé par DC en 1993, membre du (jamais démodé) Ku Klux Klan et de la bien réelle Aryan Brotherhood.
Ce que veulent les femmes
De Superwoman à Wonder Woman en passant par les Batgirl et autres Supergirl, les femmes sont très présentes dans les univers super-héroïques. Les scénaristes n’ont donc pas lésiné sur les profils de « nazi females », lesquelles sont, comme il se doit, séduisantes, sexy et cruelles.
Parmi ces walkyries, il faut en premier lieu citer la redoutable Julia Koenig, alias Warrior Woman, que les auteurs américains, assez peu familiers de la langue de Goethe, ont improprement traduit en Kriegerfrau (au lieu de Kriegerin, j’ai vérifié dans le Pons). Ses premiers concepteurs, dans les années 40, ont vaguement donné, à cet agent féminin de l’Abwehr, les traits et l’allure de Marlène Dietrich. Elle réapparait dans les années 90 au sein de groupes suprémacistes ou néo-nazis comme Axis Mundi.
La Baroness Paula von Gunther, est une autre figure emblématique de la catégorie. Créée en 1942 par DC Comics, elle parade en chemisier blanc et brassard, pantalon noir et cuissardes. Elle est un des rares personnages à avoir connu une postérité sur les écrans, avec par exemple l’épisode « Wonder Woman Meets Baroness von Gunther », diffusé pour la première fois le 21 avril 1976 (à un jour près, on frisait l’apologie…).
Le filon des bimbos nazies était trop précieux pour se tarir le 8 mai 1945, et d’autres personnages féminins ont ensuite vu le jour, dans le cadre d’une « nazisploitation » toujours rentable. Mentionnons ainsi la Baronne Blitzkrieg, qui semble être la fille du baron éponyme cité plus haut, ainsi qu’Ingrid Weiss, créée par ABC au début des années 2000. D’une beauté époustouflante, elle dirige les Aryan Angels, un gang de jeunes femmes nazies adorant porter des shorts courts et moulants ou des mini-jupes en cuir (eh oui, pour le coup, l’ambiance est assez genrée…). Ingrid Weiss est immortelle, ce qui est un superpouvoir assez pratique pour survivre, et elle utilise ses charmes pour mieux manipuler les hommes. Bon, mais ça, on est d’accord, ce n’est pas l’apanage des nazies ou des super-héroïnes, elles le font toutes !
Un peu d’autopromotion ne pouvant pas nuire, on peut ranger dans cette catégorie le personnage de fumetto, Hessa von Thurn, créé par Nevio Zeccara en 1970, et dont les aventures à la tête de ses Sex-Truppen se déclinent dans pas moins de 47 volumes. Est-il besoin de rappeler aux lecteurs attentifs et vigilants de R&A que c’est désormais Auda Isarn qui édite les tribulations érotico-héroïques de la blonde Hessa ?
Un héros nommé Maciste
Pourtant, l’ancêtre de ces différents personnages ne doit rien aux studios américains. C’est en effet du côté de la péninsule transalpine qu’il faut regarder, avec la figure herculéenne de Maciste, créée par… Gabriele d’Annunzio dans les années 1910. Le futur Commandante de la régence du Carnaro (Fiume) avait décidément des talents inattendus ! Le nom de Maciste ne découle pas d’une faute de frappe, le M ayant malencontreusement remplacé le F, mais représente la forme italianisée d’un surnom très ancien du demi-dieu Héraclès, Makistos en grec. Le personnage, apparu au cinéma dès 1914, a été cantonné dans les péplums dans les années 60, sa dernière apparition à l’écran datant de 1964. Il apparaissait précédemment aussi dans des aventures plus contemporaines. C’est ainsi, par exemple, qu’un « Maciste chasseur alpin » (Maciste Alpino) voit le jour en 1916, mettant en scène le colosse patriote, sous l’uniforme italien, luttant contre les Austro-hongrois pour délivrer une pure jeune fille dont on se demande bien ce qu’elle fabrique sur la ligne de front en plein milieu des Dolomites…
La politique est un sport de combat
Ainsi, on aurait tort de négliger l’impact de ce sous-genre de la pop culture sur une partie de la jeunesse. Les scénaristes et producteurs de Marvel, DC Comics et Netflix, tout acquis au wokisme et au progressisme, ne s’y trompent d’ailleurs pas. Le récent Black Panther : Wakanda Forever, sorti en 2022, véhicule ainsi le double fantasme d’une nation noire surévoluée face à une nation européenne pillarde et colonisatrice, la France en l’occurrence. Et que dire du fils de Superman, Jon Kent apparu en 2021 : jeune avocat travaillant en faveur des migrants, militant contre le dérèglement climatique, et « assumant son identité bisexuelle » dans les bras d’un homme.
Dire que nous attendons avec impatience une contre-offensive de Hessa et de ses Sex-Truppen sur la ligne Maginot des créations Marvel est désormais un truisme.
Article paru dans le n° 80 de Réfléchir & Agir